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Pascal Dakpo, Docteur en Staps, "Dynamique politique et sportive au Bénin : le mouvement sportif associatif ou les enjeux de pouvoir (1960 - 2001)" , Thèse de Doctorat de 3è cycle en Staps,option Sociologie politique.
  Soutenue le vendredi 20 juin 2003, amphithéâtre de l'UFR-STAPS, Nice.
"Mention très honorable avec les félicitations du jury et autorisation de publication de  la thèse".
 
  L'objectif de la thèse est de montrer en termes de sociologie politique, la collusion entre Sport et Politique en République du Bénin. A travers la pertinence de l'analyse du phénomène sportif tel qu'il se déploie au Bénin, il est appréhendé la dynamique politique, sportive et sociale, les enjeux de pouvoir et les stratégies mis en scène au sein du mouvement sportif associatif. Dans cette approche d'analyse, le sport est utilisé comme matériau, support et clé de connaissance de cette société démocratique béninoise, afin de restituer sa dynamique, sa fonctionnalité et ses réalités quotidiennes. L'hypothèse centrale est qu'au Bénin dans le régime démocratique actuel, les hommes politiques appelés à des fonctions sportives, utilisent l'espace sportif pour légitimer et consolider leur pouvoir politique. Le sport au Bénin apparaît comme un nouvel espace de visibilité et d'expression offert aux hommes politiques, espace qui élargit leurs prérogatives et leur pouvoir ; il est à ce titre instrumentalisé à des fins politiques et de conquête de pouvoir. Une radiographie du mouvement sportif béninois révèle qu'une nouvelle donne est en place. Les fédérations et associations sportives sont au centre d'enjeux politiques et ethniques qui fondent des réseaux de connivences relativement complexes. Les dynamiques à l'œuvre autour du sport, les stratégies politico-sportives et ethniques qui s'y théâtralisent, dépassent la forme d'instrumentalisation politique et offrent des marges de manœuvre non négligeables pour les acteurs. Espace de visibilité, d'expression et singulier champ de captation de capital symbolique plural, le sport au Bénin constitue un indicateur très fécond du politique.

Mots-cles : Benin - SPORT - DYNAMIQUE associative - STRATEGIES POLITIQUES - POUVOIR - IDENTITE - Ethnie

  Indépendant depuis 1960, le Bénin anciennement dénommé Dahomey a connu trois régimes politiques qui ont rythmé et marqué la dynamique sociale et culturelle de la société béninoise. Le sport, pratique importée par le pouvoir colonial (1870-1959) sera repris par les divers gouvernements de la post-indépendance (1960-2001) et instrumentalisé à des fins politiques. Dans le contexte béninois, le sport n'est plus seulement une pratique divertissante mais avant tout un lieu d'exercice du pouvoir ; le sport peut alors être examiné comme espace du politique. Le sport, c'est également un discours, un enjeu politique et une idéologie au sens gramscien du terme.
  Lors de la période de la immédiate post-indépendance (1960-1971) marquée par une série de coups d'Etat, l'instabilité politique ne manque pas d'affecter le système sportif qui connaît en l'espace d'une décennie onze tutelles ministérielles. L'Etat en l'absence d'une politique sportive à long terme et de moyens financiers conséquents, ne peut imposer cette pratique culturelle d'importation. Durant cette période, le sport béninois se calque structurellement sur le système sportif colonial.
  La nouvelle et jeune République instituée en 1972 s'ouvre sur une ère marquée par le régime marxiste léniniste qui imprègne de son idéologie toutes les institutions politiques, sociales et culturelles. Dès 1975, les associations sportives sont dissoutes et un organigramme centralisé vertical descendant s'impose à la société sportive béninoise. Au cours de cette phase, il existe un hiatus entre l'organisation imposée par le haut et le fonctionnement réel du système fédéral, dès lors que les postes stratégiques sont accaparés par les autorités politico-administratives qui imposent l'idéologie en vigueur par l'intermédiaire d'une charte des sports. C'est la promotion d'un sport d'élite que vise la politique entreprise, inscrivant ainsi le pays et la société sportive dans le registre des pays marxistes-léninistes. Cette expérience s'est avérée au bout de quatorze ans désastreuse car elle a sacrifié le sport de masse à un sport d'élite à visée nationaliste, sans pour autant bénéficier des moyens financiers de ses ambitions.

  Dès 1990, le Bénin rompt avec le marxisme à travers la « Conférence nationale » qui instaure un régime plus démocratique et plus libéral. Si le régime politique change, ce sont pourtant les mêmes hommes politiques qui assurent la continuité de l'Etat. Cependant ce nouveau régime va favoriser un foisonnement d'associations culturelles sportives et de développement et imprimer une nouvelle dynamique d'expression démocratique.
 Une radiographie du mouvement sportif béninois montre qu'une nouvelle donne est en place permettant à une élite administrative et intellectuelle d'être cooptée pour exercer des fonctions des responsabilités fédérales et sportives. Si d'anciens dirigeants marxistes-léninistes reconvertis occupent encore de hautes fonctions sportives, la société sportive fait appel électivement à d'autres acteurs de la société civile révélant ainsi un jeu de pouvoirs entre élite politique et chefferies locales. Dans le paysage fédéral sportif apparaissent de nouveaux acteurs : hommes d'affaires (opérateurs économiques), administrateurs, juristes, universitaires etc., qui entrent en connivence avec les pouvoirs locaux. Des stratégies sportivo-politiques clientélistes se déploient surtout en période électorale. Par ailleurs, des dirigeants sportifs se trouvent ainsi catapultés au plan politique grâce à leur assise sportive. L'appartenance conjointe d'un responsable au système politique et au système sportif lui confère une bonification alternative dans chacun des systèmes. Le sport devient alors un espace de captation de légitimité en terme de capital symbolique et instrument d'opportunité politique et d'ascension sociale. On observe fréquemment chez les dirigeants sportifs un cumul de fonctions dans les autres secteurs des activités humaines. Le champ sportif devient parfois le lieu d'affrontement entre dirigeants et clubs appartenant à la mouvance au pouvoir et à l'opposition. Dans d'autres circonstances, le sport est appréhendé au Bénin comme un terrain propice à l'expression culturelle et ethnique d'individus et de groupes en quête d'une existence sociale et politique. Les rencontres sportives internationales constituent des occasions au cours desquelles se manifestent des stigmates d'unité nationale. L'Etat utilise le sport pour redynamiser la solidarité, l'unité et la fraternité nationales. Le sport d'élite est l'occasion pour de nombreuses factions ethniques d'exprimer collectivement un minimum de sentiment national commun. Les rencontres sportives internationales auxquelles participent le Bénin n'inhibent pas cependant les particularismes ethniques auxquels on revient aussitôt passés les moments d'enthousiasme communautaire. Ainsi à travers le football, réapparaît l'inéluctable retour à l'appartenance identitaire ethnique. Ce repli identitaire est le plus souvent dicté par des intérêts et enjeux de pouvoirs en vu de l'exercice par certains d'une hégémonie politique à l'échelle locale. L'étude a repéré d'autre part des regroupements lignagers dans la ville de Cotonou sur lesquels se greffent des associations sportives à fortes valences ethniques. Les nouveaux rapports politico-sportifs prennent la forme d'un métissage entre tradition et modernité, entre universel et singulier, entre culture et civilisation « vodoun » et culture citadine. On assiste en fait, à partir de ces résurgences du traditionnel, à de nouvelles identités qui participent à la recomposition du paysage politique béninois. Il s'agit d'une forme singulière de mise en scène sociale et de nouveaux rapports entre les pouvoirs traditionnels locaux et le pouvoir central qui gouverne tout le pays.